PHILIPPE BOLTON

FLUTES A BEC & FLAGEOLETS FAITS A LA MAIN


L'EVOLUTION DE LA PERCE DES FLUTES A BEC


vue en coupe de la perce d'une flûte à bec baroque

L'intérieur du tuyau des flûtes à bec s'appelle couramment la perce. Il n'a pas toujours eu la même forme. En effet, son profil a évolué au cours des siècles en fonction des styles musicaux. Les dessins ci-dessous montrent des exemples de perces à différentes époques de l'histoire de l'instrument, et donnent une idée de la manière dont il a évolué au cours des siècles.




LA FLUTE A BEC MEDIEVALE

La perce des premières flûtes à bec était sans doute très simple, de forme cylindrique. Si les proportions étaient correctes, cela permettait de jouer sur une étendue d'une octave et d'une sixte ou d'une septième, avec des notes graves assez puissantes, en utilisant les deux premiers registres.
Un des inconvénients de ce type de perce était l'impossibilité de fabriquer de grands instruments d'une longueur raisonnable, avec des trous d'un écartement et d'un diamètre confortables.




LA FLUTE A BEC A LA RENAISSANCE

un quatuor de flûtes à bec de la renaissance dessiné par Virdung


La première modification apporté au profil de perce cylindrique a été d'apporter un rétrécissement vers le bas du tuyau, dans le but de pouvoir percer des trous plus petits à cet endroit.

côté fenêtre une perce typique de flûte à bec de la renaissance

la perce de la flûte ténor n° SAM 142
de la collection du Kunsthistorishes Museum à Vienne, en Autriche
côté pavillon

Le dessin ci-dessus présente le profil d'une flûte à bec ténor typique, fabriquée au seizième siècle. L'embouchure se trouve à gauche, le bas de l'instrument à droite. La courbe montre les variations de diamètre le long de la perce. Pour une meilleure lisibilité l'échelle du diamètre a été multipliée par 20 par rapport à la longueur. L'emplacement des trous est indiqué en dessous ().

La perce est presque cylindrique dans sa partie supérieure. Le rétrécissement commence un peu avant le premier trou, et continue jusqu'au dernier, puis le tuyau s'évase de nouveau jusqu'en bas.
Un instrument percé de cette manière possède une sonorité puissante, notamment dans le grave, en raison de son gros diamètre. Sa tessiture utilisable est d'une octave et d'une sixte ou d'une septième, comme celle des flûtes cylindriques. Elle correspond à la tablature des doigtés normaux de Ganassi et de celle de Virdung.

Pour pratiquer un tel rétrécissement, il faut d'abord percer au plus petit diamètre, puis élargir le tuyau de chaque côté un utilisant des alésoirs.

Vers le milieu du XVIe siècle est apparu un autre type de perce, que nous trouvons dans les flûtes à bec de Claude Rafi, et de bien d'autres facteurs. Elle est représentée ci-dessous, et pourrait s'appeler "perce en escalier" car elle présente une longue partie cylindrique suivie d'un rétrécissement important dans sa partie basse, qui permet l'utilisation du troisième registre pour jouer les notes aiguës, augmentant ainsi la tessiture de l'instrumennt jusqu'à deux octaves, ou même davantage, mais avec une éventuelle perte de puissance pour les notes les plus graves..


côté fenêtre une perce de"e flûte à bec "en escalier

la perce de la flûte ténor n° SAM 148 aujourd'hui au Kunsthistorishes Museum à Vienne, en Autriche.
côté pavillon


Cette évolution correspondrait à la tablature de Philibert Jambe de Fer, publiée en 1556, mais nous trouvons des perces de ce type jusqu'à la deuxième moitié du XVIIe siècle, comme dans l'instrument de Kinsecker illustré ci-dessous.

Page précédente



LA FLUTE A BEC PRE-BAROQUE DU XVIIe SIECLE

la flûte à bec pré-baroque illustrée dans le "Fluyten Lust-Hof"


Le rétrécissement pratiqué sur les perces pendant la renaissance a donné naissance petit à petit aux tuyaux coniques. Un cône inversé (diminuant vers le bas) émet des sons plus graves qu'un cylindre de même longueur. Ce principe permet donc la construction d'instruments plus courts pour une hauteur de son donnée. De plus, la réduction de la perce vers le bas permet la diminution de la taille des trous. Ces deux conditions donnent au musicien la possibilité de jouer avec davantage de virtuosité.

côté fenêtre la perce d'une flûte à bec pré-baroque de Richard Haka

la perce de la flûte flûte soprano de Richard Haka
de la collection d'instruments de l'Université d'Edimbourg
côté pavillon

Nous avons ici une perce légèrement conique, qui permet de jouer sur plus de deux octaves. Les doigtés correspondent exactement à la tablature de Mersenne et aux indications de Blankenburgh, dans le texte accompagnant le Fluyten Lust-Hof de Jacob van Eyck. Ce dernier utilise un doigté de deuxième registre pour la dernière note de la deuxième octave (si aigu, sur une flûte en do), alors que Mersenne indique pour la même note un doigté correspondant au troisième registre.
Sur l'instrument ci-dessus les deux fonctionnent correctement, donnant la possibilité d'utiliser indifféremment l'un ou l'autre pour jouer le si aigu.
Ce type de perce a toutefois un inconvénient : sa conicité est insuffisante pour permettre la réalisation de grandes flûtes. Une ténor construite de cette façon serait inconfortable à jouer en raison de sa longueur et de l'écartement des trous.

Voici, à titre de comparaison, la perce de la flûte à bec alto de Kinseker (ca 1670) n° MIR 100 de la collection du Germanisches Museum de Nuremberg :

côté fenêtre côté fenêtre la perce d'une flûte à bec de Kinseker

Cette perce, qui permet aussi de jouer sur deux octaves ou plus, ressemble beaucoup à celle de l'instrument n° SAM 148 de Vienne (ci-dessus), qui pourrait avoir été construit un siècle plus tôt. Il semblerait donc que des flûtes à bec de différentes conceptions, certaines plus "archaïques" que d'autres, aient coexisté au XVIIe siècle, véritable période de transition entre la renaissance et le baroque.

côté pavillon
.

Page précédente



LA FLUTE A BEC BAROQUE

la flûte à bec baroque vue par Diderot


Un changement important a eu lieu dans la facture de l'instrument vers la fin du XVIIe siècle, dans le but d'affirmer son caractère soliste. Il en résulte une meilleure ergonomie et une tessiture élargie (jusqu'à deux octaves et demie), utilisant le troisième registre (doigtés relativement faciles) en haut de la deuxième octave, puis le quatrième au delà, pour des notes plus aiguës. Cette nouvelle conception est attribué à la famille Hotteterre, en France, mais pourrait avoir eu ses origines en Italie. Elle s'est progressivement généralisée dans toute l'Europe au cours de l'époque baroque.

côté fenêtre la perce d'une flûte à bec alto de Hotteterre

la perce d'une flûte à bec alto d'un membre de la famille Hotteterre (fin XVIIe siècle)
du Musée de la Musique, à Paris.
côté pavillon

Fabriquées en un seul morceau jusqu'ici (sauf les plus grandes), les flûtes à bec seront dorénavant construites en trois parties séparées pour la plupart d'entre elles. Ceci s'explique par la complexité croissante des profils de perce, et par le fait qu'il est plus facile de travailler dans le détail à l'intérieur de morceaux de bois qui ne sont pas trop longs.
Le profil de la tête d'une flûte à bec baroque est habituellement plus ou moins cylindrique, mais peut être légèrement conique dans certains cas. La perce des autre pièces possède une conicité plus marquée que celle des instruments des siècles précédents, permettant la construction d'instruments plus courts, avec des trous plus petits et plus rapprochés. Afin d'équilibrer les différents registres et de régler leur justesse et, éventuellement, leur sonorité, des "chambres" (cavités) sont aménagées à différents endroits du cône. Parfois il y a même des ruptures de continuité de la perce entre les différentes parties, comme dans la flûte de Hotteterre illustrée ci-dessus.

côté fenêtre la perce d'une flûte à bec alto de Stanesby Junior

la perce de la flûte alto de Thomas Stanesby Jr (première moité du XVIIIe siècle)
du Musée de la Musique, à Paris

Voici la perce d'un instrument plus tardif, fabriqué à Londres par le plus jeune des Stanesby. Il n'y a pas de ruptures ici, mais la conicité est plus complexe que celle de la flûte de Hotteterre, avec une suite de "chambres" (cavités) tout à fait caractéristiques dans le corps et le pied, dont chacune aurait été réalisée avec un alésoir séparé afin de permettre un réglage précis.

côté pavillon


LE FLAGEOLET FRANCAIS DU XIXe SIECLE

un flageolet du 19e


côté fenêtre perce d'un flageolet français du 19e siècle

La perce d'un flageolet de Prudent Noblet (milieu du 19e siècle)
côté pavillon

Le flageolet a coexisté avec la flûte à bec depuis la Renaissance, mais n'a pas été abaondonné la la fin du baroque. Il a été joué pendant tout le dix-neuvième siècle, et même plus tard encore. Voici la perce d'un flageolet fabriqué vers 1860. Le profil conique inversé avec des changements de diamètre et de pente à certains endroits est semblable à celui d'une flûte à bec. L'instrument possàde quatre trous devant, et deux trous de pouce à l'arrière (qui figurent ici en dessous du graphique de la perce), dont le premier est utilisé pour l'octaviation comme à la flûte à bec. L'intérieur du porte-vent (couramment appelé "la pompe") n'est pas représenté dans ce dessin mais peut être vu ici.